Si l’appétit vient en mangeant, est-ce que l’amour se mijote, se bonifie et se purifie ? On peut bien sûr développer des sentiments s’apparentant à un ersatz de la vraie chose. Se tremper l’orteil sans trop se mouiller permet de constater qu’il est possible de trouver du réconfort sans l’immersion totale. Se caser pour avoir droit à un peu d’affection et surtout le soulagement de ne pas finir seul demeure un prix de consolation. D’autres sont carrément jetés dans les bras l’un de l’autre. Le mariage arrangé ça n’arrange personne. Quelques-uns en profitent comme dans La fiancée d’Éléonore Goldberg ; une incursion dans le folklore yiddish dévoilant une histoire d’amour fusionnel et de repos éternel.

Au premier regard, elle savait qu’ils seraient unis à jamais. Léa caressait affectueusement depuis toute petite la pierre tombale des Saints Fiancés qui orne la place de son shtetl. La légende dit que ceux-ci ont été tués lors d’un pogrom exécuté le jour de leurs noces. Cet attrait pour le mystique et la mélancolie la mena au cimetière en même temps que ce jeune étudiant de la Yeshiva. Dès lors, elle sentit que Khonen l’aimerait à mourir. Avant de considérer lui adresser la parole, il devra passer par son père qui ne veut pas d’un gendre sans le sou, aussi instruit soit-il. Il est en réalité jaloux de son talent. C’est donc en catimini, à travers l’apprentissage de la cabale et à coup de prières que le soupirant essaye en vain de faire dérailler le plan de marier la vierge au fils d’un riche marchand. Cette nouvelle leur coupa les ailes ainsi que l’herbe sous le pied. La flamme déjà vacillante s’éteint d’un seul souffle alors que vint la grande noirceur pour les amoureux.

Devenu diaphane, le visage de Léyélè se meut d’une expression fiévreuse près de la transe. Lové en son sein, se cache son compagnon éthéré, pourchassé par des êtres maléfiques. Il est maintenant un dibbouk : apatride à la recherche d’un corps physique à habiter. On l’exhorte à tout prix à quitter celui de celle à qui il est destiné. Faute de se conformer aux ordres divins que le rebbè vocifère, il sera banni d’Israël et jeté en pâture aux esprits mauvais qui veulent le détruire. Son âme tourmentée a trouvé hospice et repos dans les bras de sa dulcinée. Sauvez-vous avant qu’on ne vous rattrape. Allez célébrer vos retrouvailles et danser avec les Saints Fiancés.

Éléonore Goldberg a peut-être basé son histoire sur la pièce Le Dibbouk de S.Ansky mais il en demeure que sa relecture transcende le cadre du simple calque. On sent un travail d’archives étoffé et finement cousu — aucun fil ne dépasse. Le dessin expressionniste d’où se dégage une douceur en dépit d’un trait hachuré de prime abord austère convie à la solennité tout en ajoutant une touche de fantastique au propos. Dans la lignée de ses autres projets artistiques, l’auteure s’attarde ici à la transmission de son héritage juif. Une très belle incursion dans une culture millénaire qui demeure encore méconnue.




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