La maison du regard

Il fait du bruit. On l’entend pulser si on y prête l’oreille. On peut voir avec le cœur, cet organe essentiel à la vie qui se gonfle et se sert à la moindre émotion. Encore faut-il en sentir. Notre existence anesthésiée et comblée par le consumérisme à outrance nous a rendus douillets et prévisibles ; difficile de sortir de la marge quand on a des œillères. Heureusement que des évadés du système tel Alexandre Lafleur et Marc Tessier sont là pour nous secouer les puces. Le fruit de leur collaboration de longue haleine culmine avec l’accouchement de La maison du regard.

La maison du regard, Moelle Graphik, 2024

Fœtus, kuskus, globes oculaires et hémoglobine : le sang coule comme l’encre noire et visqueuse. Ce sont des histoires à dormir debout pour tenter de nous réveiller. Plus rien ne nous étonne dans ce monde dépravé, pas même les lapins crucifiés aux yeux crevés. Organes palpitants d’où émane la vérité mordante dans un théâtre de la cruauté. On veut provoquer l’éclatement des portes de la perception tel le verre des bouteilles qui sont au bout du goulot. Les arcanes qui taraudent l’esprit nous conduisent dans les forêts sombres de notre âme pour en faire jaillir l’amour dans toutes les positions. Il faut libérer le trésor de sa cage thoracique, car il est l’essence de l’AMOR. 

La maison du regard, Moelle Graphik, 2024

La mort, l’amour : deux faces d’une même pièce. L’une comme l’autre, abrège nos souffrances. On doit s’immerger et se laisser bercer à la manière d’un bébé par le ressac. Nos joies, nos peines, nos désirs s’entremêlent et se subliment grâce à la prière qui convie à la réunification. Il faut danser à travers la faune bigarrée de l’existence pour se sentir renaître. Un peu de spiritualité peut aider à reprendre ses esprits lorsqu’on est égaré. Namasté, mon ami. Tu vas enfin pouvoir retrouver la terre promise et féconder ce monde stérile. Tu goûteras un jour à l’éternel en compagnie de ta muse qui t’accompagnera au-delà des frontières du réel où tu pourras y reposer tes vieux os. La maison est là au milieu des orbites en orbite et artères qui giclent. Elle attend qu’on investisse les lieux. Il faudra dépoussiérer les miroirs et y affronter notre regard. Derrière leur tain se trouve un univers inestimable nous menant tout droit à l’œil du cyclone où règne le calme malgré le chaos ambiant. Cessons de résister et laissons-nous happer par le vortex pour mieux s’élever en volutes. 

La maison du regard, Moelle Graphik, 2024

C’est comme ouvrir un portail temporel vers la génération X. Cette exubérance du No Future mise au service de l’art. Les comparses ont jeté un pavé dans la mare il y a de cela trois décennies dont l’onde de choc s’amplifie avec le temps à l’instar de leurs contemporains (Doucet, Valium, Suicide, etc.) Leur travail pluridisciplinaire tient toujours la route, ce qui ne met aucun doute sur la pertinence et la qualité du propos. Le besoin viscéral de créer sans arrière-pensée pécuniaire transparaît au fil des planches : c’est authentique et généreux. Comme il fait bon de s’abreuver à la source.

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