BDQG

On naît, on vit, on meurt. Entre-temps il se déroule un paquet d’affaires à l’extérieur comme à l’intérieur de notre monde. Les choses changent et évoluent. Parfois elles disparaissent pour toujours, mais leur souvenir rémanent est là pour nous rappeler leur influence. Des générations sont passées avant nous et ont tracé la voie. À petite ou à grande échelle, ils façonnent notre quotidien. Certains d’entre nous ont pu côtoyer ces bâtisseurs de près. C’est notamment le cas d’Annie Desrochers dont le grand-père fut une des têtes pensantes du projet d’électrification du Québec et dont le legs dépasse les frontières familiales. 

C’est gros, c’est grand, ça frappe l’imaginaire ; un éclair de génie pour certains alors que pour d’autres, ce fut un choc brutal. La Baie James, c’est plus qu’un réseau de barrages, c’est aussi un territoire ancestral en partie enseveli. Pour la journaliste chevronnée, l’attrait est décuplé. Elle joint donc l’utile à l’agréable en partant à ses trois plus vieux sur la route de la Jamésie — nouvelle appellation non officielle de la part de la maman. C’est leur histoire, ça leur appartient. Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Les garçons n’ont jamais connu leur arrière-grand-père et il fut de court passage dans la vie d’Annie puisque celui-ci a disparu de manière tragique lorsqu’elle avait onze ans. Cet homme n’était peut-être pas premier ministre, mais il était son bras droit — qu’il avait long. Très discret (pour ne pas dire secret), il était aux premières loges des changements majeurs qui s’opèrent au sein de la province en pleine ébullition. Tout cela au détriment de sa famille qui n’a accès à lui que les dimanches et encore. C’est un peu un pèlerinage que de s’investir dans cette quête de savoir et d’identité. 

Les racines c’est important. Parlez-en aux Cris qui ont vu les leurs noyées sous des tonnes métriques d’eau. Source de vie comme source de conflit, c’est avec le cœur lourd qu’ils ont renoncé aux traditions ancestrales pour des poignées de dollars parce que les miroirs et les couvertures ne suffisent plus à les amadouer. Tout cet argent distribué aux communautés leur permet un essor économique, mais quel est le prix à payer ? Les jeunes se vautrent dans l’opulence en refusant de travailler alors que les anciens se désolent de voir leur culture péricliter. Il ne reste plus qu’à s’émousser les sens par l’alcool et le jeu, gracieuseté du gouvernement.  

Ayant d’abord fait l’objet d’un balado, l’adaptation en images de Transmission devient son prolongement logique. Le choix judicieux d’avoir confié la tâche de l’illustrer au talentueux et prolifique bédéiste Christian Quesnel n’est pas fortuit, lui qui a plusieurs documentaires à son actif. En journaliste chevronnée qu’elle est, Annie Desrochers brosse un portrait étoffé et nuancé d’un pan de notre histoire en donnant une voix aux différents acteurs qui l’ont vécu de près. Une œuvre résolument de son temps alors qu’on se demande ce qu’on laissera en héritage aux prochaines générations tandis que le climat social et la planète se dégradent comme jamais.