Ama

Et maintenant pour une question ronflante vous envoyant rouler des yeux au passage : qu’est-ce que l’art ? Ne nous perdons pas en conjectures puisque nous n’arriverons pas à une réponse définitive. La discussion serait aussi stérile si nous devions nous entendre sur la définition d’un artiste. Ce qui émerge c’est un besoin de créer. Une pulsion qui force à l’action. Il est toujours fascinant d’en connaître un peu plus sur le personnage, car au-delà du mythe existent d’autres facettes difficilement accessibles sans l’apport d’un biographe. C’est de toutes pièces qu’André-Philippe Côté fabriqua l’histoire d’Ama, l’artiste qui n’en était pas une. 

Ama, Moelle Graphik, 2024

Amanda Duval ou Ama tout court, est une enfant sauvage ayant grandi aux soins d’un ecclésiastique bienveillant qui l’a pris sous son aile et a contribué à forger son caractère trempé et sa soif de liberté. Envoyée à Montréal dans les années 40 pour devenir infirmière, c’est plutôt la sculpture qui devient sa muse lorsqu’elle se retrouve assistante pour l’un des plus influents sculpteurs canadiens-français n’ayant jamais existé. Son enthousiasme et sa dévotion ravissent les cœurs et elle est aspirée dans un triangle amoureux délétère qui fait voler en éclats des carrières et brise des vies au passage. Ses relations ont fait beaucoup de dégâts et le projecteur braqué sur elle la transforme en proie facile. Les journaux en font leurs choux gras et elle est traînée dans la boue. Faisant fi des conventions et des normes sociales de l’époque, la jeune femme fait un énorme pied de nez à ses détracteurs, à commencer par les puristes qui ne la considèrent pas comme une artiste au sens propre du terme. On lui reproche de faire des bricolages à partir de matières trouvées à même les ordures. Oui, et après ? Elle revendique un « art primitif, un art accessible à tous, un art non marchandable. » À bas l’académisme !

Ama, Moelle Graphik, 2024

À bas aussi le patriarcat une fois partit puisque Ama était féministe avant l’invention du concept. Le droit de vote venait à peine d’être accordé au sexe faible alors on doit se rendre à l’évidence que son apport à la conversion devenait des munitions pour mieux la descendre. Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais venez voir l’exposition avant qu’on la lynche. Vivre à l’époque de la Grande Noirceur amène son lot d’intolérance. Un petit séjour en cellule capitonnée devrait la mater. L’Oiseau de feu renaît de ses cendres pour brûler ardemment avant d’être englouti par les flots. On cherche toujours où elle (se) repose en paix. 

Ama, Moelle Graphik, 2024

C’est triste et captivant ; familier et réconfortant. André-Philippe Côté tire habilement les ficelles pour nous happer dans cette biographie fictive sous le couvert d’une enquête journalistique. Habitué à côtoyer ses personnages plus fantasques, le bédéiste nous ouvre la porte à un univers narratif où s’allient expérience et imagination. Fidèle à son style graphique, il pousse la note en créant des décors empreints de réalisme juxtaposés à des êtres anthropomorphiques avec la plus grande aisance. L’artiste accompli nous dévoile l’étendue de son talent dans cet ouvrage de longue haleine.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.