Est-ce qu’on naît dans son corps ou on l’habite ? Est-ce qu’il nous appartient ? Nous sommes tous imposteurs ou du moins nous en avons parfois le syndrome. Grandir et passer à travers la vie laisse des traces. Créer son identité sexuelle et se façonner au gré de ses expériences peut s’avérer douloureux même traumatisant pour certaines dont l’intégrité physique a été atteinte. On dit souvent que ça fait d’elles des survivantes. Comme Julie Delporte qui nous livre son témoignage sur sa quête à se réapproprier son être charnel et sa sexualité dans Corps vivante.

Julie a sauté la clôture pendant sa trentaine. L’herbe a toujours été plus verte chez la voisine de toute façon. On l’a traité de garçon manqué et son corps se recroqueville au touché de ceux-ci. Cela ne l’a pourtant pas empêché de se laisser embarquer dans leurs combines quitte à y laisser flotter un bout de soi-même au-dessus de la scène — de crime. Certains ont abusé. D’autres ont pris son silence comme un consentement. Le désir de plaire et de se faire aimer a préséance sur son propre désir — celui de se lover au creux des bras d’une femme qui comprend et qui accepte ses traumas. Encore faut-il qu’elle puisse pardonner à la petite fille en elle qui a honte et qui attend qu’on la délivre de ce mal qui la ronge.

Fini l’époque où se doit d’entrer dans le moule de l’hétéronormativité. Au placard sont rangées les robes et les longs cheveux sont coupés pour laisser émerger de son sommeil cette nouvelle personne. En fait, elle a toujours été là, enfouie sous la surface depuis un très jeune âge. Avant de ressentir une attirance, elle était envoûtée par le concept même. Mais, érotiser des corps ne semble pas suffire aux yeux des lesbiennes pures et dures. Il faut récolter des dyke points pour avoir le droit de le clamer haut et fort. Cela ne revient-il pas encore à demander l’adhésion ? Une façon supplémentaire de plaire aux autres afin d’éviter le rejet tant redouté depuis l’âge tendre. Peu importe, elle n’a plus de temps à accorder à ce que ces gens peuvent penser d’elle. Il est maintenant l’heure de suivre ses instincts et de plonger tête première dans cette renaissance.

Les habitudes sont longues à changer. Mais déjà, j’ai un peu perdu celle de me force
La sexualité nous forge, nous fascine et nous rebute. Elle ne nous définit pas à part entière, mais occupe une place prépondérante dans notre bien-être. Julie semble s’être faite à l’idée que cette transition n’est pas la panacée à tous les maux qui l’affectent, mais elle n’aura plus besoin de faire semblant de s’y plaire dans un monde qui n’est pas sien. Empreint de féminisme et de féminité, c’est avec pudeur et abandon que l’autrice déballe son sac à la façon d’un documentaire. Entrecoupé d’images évocatrices de la nature, on se laisse bercer par son récit et on se retrouve confronté à nos propres insécurités. Une lecture pleine d’intelligence et d’introspection qui égratigne au passage.