On a toujours voulu savoir ce qui se cache au-delà de l’horizon. Il y en a pour passer de la parole à l’acte et qui vont se faire voir ailleurs alors que d’autres sont très bien ici, engoncés dans leur confort et la certitude d’une vie régimentée et prévisible. Un fragment de ceux qui ont la bougeotte joindra l’utile à l’agréable en alliant voyage et travail. C’est le cas du personnage principal d’Heureux qui comme Ugo du réputé Réal Godbout flanqué de son fils au scénario et sa femme à la couleur.
Imaginez qu’on vous invite à bord d’un luxueux yacht avec des convives triés sur le volet pour vous la couler douce sur la méditerranée ? Super ! Où est-ce qu’on signe ? Par contre, pour Ugo St-Germain, globe-trotter invétéré ayant visité les endroits les plus reclus de la planète, il s’agit plutôt d’une rétrogradation. Habitué à vivre à la dure pendant des années, le voilà maintenant à siroter des cocktails, assez pour s’abrutir et s’abaisser à écrire un article complaisant sur cette croisière culturelle partant à la trace du mythique Ulysse en foulant les lieux de sa célèbre odyssée. Ce n’est pas qu’il déteste la culture, bien au contraire. C’est plutôt les autres passagers qui n’en ont rien à cirer, préférant de loin s’étourdir et prendre leur pied. À chacun sa façon de fuir la réalité comme bon lui semble. Le journaliste n’a pas de leçon à donner puisqu’il a jadis abandonné sa famille pour remplir un vide existentiel. Le voilà maintenant à l’heure des bilans et l’irrépressible envie de revenir au bercail se fait sentir alors qu’il est plus insatisfait que jamais. Il ne se doute pas qu’il s’apprête à foncer tête première dans un guêpier. Le périple atteint des proportions épiques quand il tombe par inadvertance sur des affaires louches se tramant sous le nez et la barbe de l’armateur pris à la gorge et les mains liées.
D’entrée de jeu, on annonce en fanfare le thème central de l’album alors que son titre fait écho au sonnet d’un poème écrit par Joachim du Bellay ainsi qu’une chanson de Georges Brassens mettant en vedette le héros mythologique imaginé par Homère. Les auteurs ont astucieusement transposé le récit dans un contexte moderne en y ajoutant bien sûr les ingrédients qui ont su faire la renommée du créateur de Red Ketchup : action enlevante, humour caustique et critique sociale acerbe. Nul besoin d’être féru en histoire pour comprendre les références à l’Antiquité et l’épopée homérique. Il suffit de suivre les pistes balisées tout au long des pages pour en déduire l’essentiel sans alourdir ou ralentir le rythme. On s’instruit au passage de l’intrigue sans s’en rendre compte, car on nous donne les clés pour mieux s’immerger dans notre lecture. On ne dédaigne pas les clins d’œil à Hergé dont le Tintin vient faire une apparition éclair. Une approche assez classique qui a su résister au temps, rehaussée par des couleurs vives et un découpage clair. Une très belle incursion dans une époque lointaine qui demeure toujours d’actualité.