Personne n’a demandé à venir au monde. Pourtant, nous voilà à déambuler à travers les méandres avec la vague impression de contrôler notre destinée. C’est un triste constat de savoir que notre conception inclut un bagage parfois lourd à porter alors que nous essayons tant bien que mal de nous extirper du moule que nos géniteurs ont inconsciemment façonné. Sommes-nous condamnés à devenir une copie conforme ? Pouvons-nous guérir de nos traumatismes d’enfance sans trop de séquelles ? C’est d’autant plus difficile lorsque l’on vit dans l’ombre de son daron adulé de tous comme dans Père fictif de Joe Ollmann.
Caleb — Cal pour les intimes — est le garçon de Jimmi Wyatt, le célèbre créateur de Sonny Side Up, la bande dessinée qui accompagne les lecteurs de journaux depuis toujours. On y raconte les aventures d’un propriétaire de diner et son gamin. L’amour incommensurable qu’ils se vouent a un effet thérapeutique sur les admirateurs qui se prendront d’affection pour l’artiste, allant jusqu’à lui attribuer le titre de « papa de tout le monde » servant parfois d’ersatz à une absence douloureuse. Regard espiègle et sourire bienveillant sont les marques de commerce du bédéiste. Il semble filer un parfait bonheur avec sa propre famille, mais tout cela est factice : l’envers du décor révèle un homme aux antipodes du personnage préférant s’enfermer dans son studio avec ses pinceaux plutôt que de passer du temps avec ceux qu’ils considèrent comme des boulets. Avide de gloire et de fortune, les piètres interactions avec sa progéniture sont rares et laissent un goût amer à sa descendance qui ne demande qu’un peu d’estime et d’affection.
À quoi bon essayer de plaire à celui qui vous a engendré alors que vous n’êtes qu’une source de déception et d’embarras à ses yeux ? Les liasses de billets de banque lancés en la direction de l’héritier ne compensent qu’en partie pour les ravages causés par cette relation à sens unique. Éternel perdant alcoolique et toxicomane n’aboutissant jamais à rien, il réussit tout de même à se sortir de ce marasme. Lucide, il est conscient d’avoir eu le « le privilège » d’avoir été élevé dans la ouate, papillonnant d’une lubie à l’autre sans jamais avoir de but précis. Il arrive toutefois à émettre avec certitude qu’il ne veut absolument pas devenir comme son vieux, mais force est d’admettre qu’il lui ressemble de plus en plus avec l’âge. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. Les dés sont pipés et les probabilités ne jouent pas en sa faveur, mais il lui reste tout de même un mince filet d’espoir de pouvoir se refaire.
Joe Ollmann qui est reconnu pour faire l’apologie de la trivialité et ses personnages plus grands que nature ne déçoit pas avec cette œuvre qui touche droit au cœur. On y souffle le chaud et le froid, explorant les coins sombres de l’âme humaine pour essayer de faire la lumière sur les liens tordus de cet amour filial dysfonctionnel. On rit — parfois jaune — et on se prend au jeu de se faire l’avocat du diable dans cette tragicomédie. C’est cru, grossier et haut en couleur tout comme le trait de crayon de l’auteur dont le daltonisme ajoute un rendu particulier.