On aime tracer des lignes, ça délimite le contour des choses. C’est moins flou, moins abstrait. On peut contrôler ce qui y entre ou en sort. Quelquefois, ce sont des idées, autrement ce sont les individus les véhiculant qui essaient de se frayer un chemin. Il arrive que l’on franchisse nos frontières. Dans de pareils cas, il nous faut repousser l’envahisseur de toutes nos forces. C’est la guerre qui meut et qui moule les consciences. Vava Sibb a été interpellée par le début de l’invasion de l’Ukraine et elle a tenu à exprimer cette détresse à l’aide de juxtaposition d’images et de poésie dans Larmes d’Ukraine.


La nouvelle de l’agression lui tombe dessus telle une bombe. Plutôt que de rester catatonique et coite devant l’horreur qui se déroule en direct, elle préfère coucher sur papier ses pensées affolées. Les mots fusent, automatiques comme les armes utilisées lors du conflit qui fait rage entre deux factions voisines. Elle se fait du sang d’encre pour ceux qui versent le leur de façon aussi arbitraire qu’aléatoire. Ce sont encore les innocents qui paient de leur vie cette mégalomanie mal canalisée. Des lignes imaginaires que nous ne devons pas franchir sous peine de tout voir voler en morceaux. Allez savoir ce qui se passe dans la tête du tyran qui a lancé les hostilités. En observatrice outre-Atlantique, l’Européenne d’origine dont la famille a souffert des précédents conflits mondiaux vit par procuration le triste sort réservé au peuple ukrainien. Ses humeurs fluctuent au fur et à mesure que se déroule le funeste spectacle et qu’un simulacre d’armistice se dessine à l’horizon. Elle veille au grain tout comme ces gens qui dorment la peur au ventre.


« Noir comme la guerre, rouge comme le sang et blanc comme la paix » sont les couleurs utilisées pour les illustrations. Sans équivoque tout en étant cryptiques, les images percutent et frappent l’imaginaire ; corps désincarnés à l’œil accusateur, les êtres en deux dimensions parcourent des décors hallucinés d’une violence explosive sans pouvoir s’extirper des gravats. La technique du collage et de la superposition a quelque chose du tract ou du graffiti révolutionnaire qui parsèment les murs toujours debout des villes assaillies. Difficile de trouver une iconographie plus forte et représentative. Le spectre de l’ancien régime soviétique est omniprésent comme les retombées radioactives de Tchernobyl. Il faut l’abstraction pour se soustraire à ce monde et en rêver d’un autre, meilleur.


En attendant, nous sommes pris avec celui qu’on a. Il y a un élément cathartique dans cette lecture de poèmes débités parfois hors d’haleine et d’autres fois en chuchotant pour ne pas se faire repérer. Très bien documenté et collant à l’actualité, l’ouvrage nous résume de façon consécutive les hostilités qui perdurent encore à ce jour. Un exercice douloureux, mais nécessaire qui fait œuvre utile en répertoriant les affres et les réflexions que celles-ci suscitent chez l’artiste multidisciplinaire. Nous retenons notre souffle en ne pouvant absolument rien faire à part espérer que cesse cette folie. Vava, elle, n’est pas restée les bras croisés.




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