L’amour et la haine sont les deux faces d’une même pièce. Cette assertion peut être aisément réfutée, mais il demeure que ces deux émotions sont étroitement liées. La vaste majorité d’entre nous pensent faire partie des gentils alors que l’on sait hors de tout doute que la nature humaine est autrement conçue. On revêt un masque pour avancer à travers la vie et obtenir l’approbation d’autrui. Il existe pourtant des spécimens rares qui s’acharnent à jouer aux méchants pour le plaisir : ils souhaitent être détestés. Ils se nourrissent de cette énergie à des fins créatives. C’est notamment le cas de L’incroyable Andy Kaufman, sujet de la dernière BD biographique de Box Brown.
Mais qu’a de si incroyable cet humoriste et acteur de télévision des années 70-80 presque tombé dans l’oubli ? Tout et rien à la fois. C’était un garçon timide — il est décédé d’un cancer en 1984 — dont le style de comédie reposait sur le malaise et la surprise. Il est à l’origine de personnages insolites, plus grands que nature, suscitant l’incrédulité de son auditoire qui ne pouvait qu’être subjugué devant tant de curiosité. Andy avait le don de brouiller les cartes, feignant tantôt la vantardise et le machisme exacerbé dans son rôle de lutteur se mesurant uniquement à des femmes — oui, oui, pour de vrai ! —, l’ingénuité affectée d’un fantaisiste venant d’une contrée lointaine montant sur scène pour la première fois ou bien le cynisme abrasif d’un chanteur de bar alcoolique sur le déclin. Il est même l’initiateur du mouvement d’imitateurs d’Elvis comme on les connaît. Génie de la comédie pour certains, fou furieux mégalomane pour les autres, sa brève carrière a su laisser des traces dans le showbiz américain, aussi ténues soient-elles. C’est un peu grâce à lui si on peut aujourd’hui voir des messieurs bedonnants et suintants en jumpsuit tester les limites de leur bassin ou encore des bouffons iconoclastes frôlant la psychose pour notre amusement collectif.
Malgré les apparences, Andy Kaufman n’était pas un déséquilibré. Bien au contraire : c’était un individu calme, attentionné et pacifique. Alors, pourquoi s’évertuait-il à être méprisé de la sorte par le public ? Tout simplement parce qu’il avait compris depuis sa tendre enfance passée à regarder la lutte à la télévision que les vilains obtenaient les plus vives réactions. Dès lors, il s’est identifié à ceux qu’on adore haïr. C’était viscéral, spontané et totalement assumé de sa part. Et comme il aspirait à devenir le roi inconstatable du divertissement, il valait mieux y mettre le paquet. Par contre, il ne cherchait pas la gloire et la fortune ; les rires et les effusions de joie étaient sa récompense.



Comme à son habitude Box Brown nous livre un récit fascinant à propos d’une figure emblématique en nous abreuvant de faits et de détails inédits sur sa vie. Il réussit à insuffler une certaine poésie et une dose de magie à une histoire pourtant linéaire et sans artifices. Il faut dire que l’auteur a le flair de choisir ses sujets en y voyant le potentiel de la matière brute. Il ne reste plus qu’à attendre patiemment de voir ce qu’il nous sortira de sa boîte brune.