La question à 100 piasses à laquelle personne ne peut entièrement répondre sans revenir prestement sur sa décision : si vous n’aviez qu’un seul sens à perdre, lequel ? Méchante colle… On peut cogiter longtemps sur le contexte de cette privation de repère. Des fois, l’univers choisit pour nous. Dans le cas de Simon Labelle, c’est son ouïe qui a été affectée par des acouphènes. Il nous en parle sans ambages dans Ma vie en lo-fi, sa dernière parution chez Mécanique générale.
Est-ce que ça se peut entendre embrouillé ? Les sons sont diffus, étouffés, subaquatiques. Un jour les gens se mettent à sonner comme Tom Yorke dans ses bonnes années. Les conversations sont laborieuses et on est contraint de faire répéter nos interlocuteurs à tout bout de champ. On débite des choses random juste pour montrer qu’on a compris, mais dans le fond, on n’en a pas la moindre idée. Le sourire contrit est l’apanage des durs de la feuille. Pis le petit maudit ultrason qui ne nous lâche pas et qu’on est seul à déceler.
Mes oreilles perçoivent mal les hautes fréquences.
En revanche, j’entends un acouphène dans les aigus.
C’est un peu comme si mon acouphène marquait la limite de mon audition.
Comme si j’entendais ma propre surdité.

Au moins, là on va pouvoir capter tout ce qui se dit.
Non ?
Bon, il est vrai que certains bruits anodins du quotidien sont revenus. C’est avec joie qu’on retrouve le tintement des clés lors de balades en voiture ou le froissement d’un tissu contre sa peau, mais il demeure que le tout se déroule dans un environnement contrôlé. Oubliez les fêtes où règne le chaos et les conversations rebondissent de tous bords tous côtés : ça ne vaut pas de la chnoute. Vivement que les instruments de musique sonnent clairs comme de l’eau de roche. À moins que vous ne vouliez jouer à « devine la chanson sans ton aide auditive », ce qui équivaut à endurer la complainte distordue d’un modem 128k. Alors, aussi bien profiter des derniers soubresauts de nos oreilles agonisantes pour se payer un casque d’écoute dernier cri — littéralement. On peut ainsi se trémousser sur de la pop sirupeuse plutôt que se buter à des chefs-d’œuvre barbants.

Simon Labelle nous livre le récit de son quotidien avec philosophie et humour : ça fonctionne très bien. Sans tomber dans l’apitoiement, il ne rate pas l’occasion de se moquer de sa condition. On vit par procuration entre ses deux oreilles ce qui ne doit pas toujours être évident, mais qui ne semble pas l’affecter outre mesure. Une belle leçon de résilience et d’humilité.