La vie, la mort et toutes ces choses qui prennent le bord. Ce n’est plus le temps de reculer puisque de toute façon il n’y a qu’une seule sortie à ce labyrinthe sans queue ni tête. En franchirons-nous les murs ou sommes-nous condamnés à y errer à perpétuité ? Un séjour de Philippe Girard dans la ville de JPII — Cracovie — lui suscite de profondes réflexions aux antipodes de la raison qui l’amène en ville : s’amuser et faire rayonner son art lors d’une résidence d’un mois. Le Starzec est le résultat de ses ruminations dans un pays qui ne se laisse pas facilement aimer.

Une enfilade de coïncidences mêlées à des superstitions ont d’emblée semé le doute chez l’auteur quant au bien-fondé de son entreprise. C’est les valises remplies de sirop d’érable et de livres québécois qu’il arriva à sa tanière pour les prochaines semaines ; l’appartement d’une poétesse disparue il y a une dizaine d’années donne une ambiance glauque à cette aventure déjà teintée de scepticisme. Les étranges murmures le tirant quotidiennement de son sommeil ne font qu’accentuer le sentiment de malaise généré par l’ostracisme vécu depuis les premiers instants. Son agente de liaison en terre inhospitalière esquive le contact initial et l’abandonne à son sort pendant que toutes les activités à l’horaire sont annulées, attribuable au manque d’intérêt pour sa personne. Commence alors les élucubrations et les remises en question : mais qu’a-t-il pu bien faire pour mériter ce traitement ? Sans guide et sans ancrage, il part à la dérive à travers ce lieu en quête de sens et de réponses.

Il doit d’abord et avant tout essayer de comprendre qui sont les habitants de cette parcelle que l’on convoite, pille et saccage à qui mieux mieux depuis des siècles. La Pologne a connu de sombres périodes — la dernière remontant à la Seconde Guerre mondiale — qui l’a laissée meurtrie et rébarbative quant à l’accueil d’étrangers en son sein. Sans se vouloir xénophobe, la méfiance qu’entretient ce peuple face à la présence de gens venus d’ailleurs en son territoire n’a d’égal que l’indifférence que lui porte le reste de la planète. Cela explique en partie pourquoi l’auteur est persona non grata. Mais, il subsiste tout de même en son for intérieur l’espoir de comprendre cette culture et de s’y faire accepter malgré les multiples tentatives infructueuses. Il existe pourtant une raison sous-jacente, plus insidieuse qui transcende les barrières géographiques : sa propre mortalité, la jeunesse l’emportant sur la sagesse — d’où le titre de la bande dessinée.

Philippe Girard réussit un tour de force et transforme ce qui aurait pu être un banal récit de voyage en quête existentielle. Par son regard et mû d’un désir de s’ouvrir à l’autre, le bédéiste accomplit la mission qu’il s’était donnée : démystifier l’essence de l’âme polonaise. Doté d’un graphisme mordant et évocateur, nous sommes transportés à travers ces pérégrinations dont l’issue nous laisse repus. Comme le veut le dicton : « Dans un voyage ce n’est pas la destination qui compte, mais toujours le chemin parcouru, et les détours surtout. »