Êtes-vous heureux ? Très bien. Maintenant : Êtes-vous comblés ? Sure, why not. On n’est pas tous au top de la pyramide en train de chiller avec Maslow, mais ça pourrait être pire… bien pire. Il est inutile d’énumérer tous les scénarios et de rouler en boucles des simulations pour comprendre qui en a qui en arrachent big time. On parle de la grosse misère noire, épaisse comme la m’lasse du Faubourg où se joue en partie l’action de Bagne Bagne Bagne, une BD polar en noir et blanc se déroulant de le Montréal des années 50 et dont le débit explosif sonne le glas de la carrière d’un boxeur dont le dernier combat a laissé de graves séquelles.

L’autre élément visuel présent, pesant, oppressant, c’est le pont Jacques-Cartier qui balafre la bourgade ouvrière. C’est le bastion des familles qui tirent le diable par la queue et certains sont prêts à tout pour y échapper. Une cicatrice comme celles qu’arbore Scarface : malfrat faisant partie d’une bande de camarades d’infortune ayant pour mission de partir à l’assaut d’un fourgon blindé. Notre bagarreur aussi est de service dans cet escadron de la mort. La boxe n’attire pas juste les bosses ; il y a les dettes — ainsi qu’une sévère commotion cérébrale qui brouille les sens et le jugement. La traversée du pont croche ressemble à un rêve prémonitoire. Un cauchemar éveillé plutôt. C’est là que l’interception du cargo a lieu tandis que les feux de l’enfer se déchaînent sur le tablier de l’imposante structure surplombant le fleuve.

Bang ! Bang ! Bang !
Comment le pugiliste réussit-il à s’en extirper, personne ne le sait vraiment. Faut-il déjà que ces événements aient existé. Difficile de déceler le ciel de l’abysse ; un maelstrom de flashs apocalyptiques qui pulsent comme le sang. Un cœur dans un sac en papier brun. La fibre même de l’univers se déchire, nous laissant épier l’envers du décor. Il ne sert plus à rien de courir, vous êtes cerné. Votre sanité nous appartient. Mangez donc un peu, cela vous fera du bien : la faim justifie les moyens. Tout ira mieux demain au royaume des amochés. Par contre, il vaudrait peut-être ne plus se réveiller plutôt que d’affronter un tel bourbier un jour de plus.

Ainsi va la vie d’indigent. Notre présence dérange. On est roué de coups et envoyé au plancher. À quoi bon se relever quand on en a eu son compte ? La frustration se transforme en apathie tandis que gronde une douleur sourde qui ne demande qu’à semer le carnage. Pourquoi certains ont-ils tout alors que d’autres n’ont que leur nom et leur fierté ? Il y a de quoi rendre fou.
Étienne Prud’homme livre une œuvre d’une grande puissance. Le rythme haletant de la trame narrative combiné à la représentation picturale d’une époque révolue de la métropole promet l’immersion totale dans cet univers glauque et anxiogène. La passion de l’auteur pour le cinéma et l’histoire fusionnent pour offrir une expérience de lecture des plus mémorables. Une très belle réussite pour ce nouveau venu de la BDQ.