La fureur de vivre
Pourquoi l’existence ? Pourquoi l’insistance ? Pourquoi certain. e. s traversent la vie sans ambages alors que d’autres se traînent dans la boue sans jamais pouvoir s’en extirper ? Difficile d’envisager l’avenir quand la douleur qui nous habite embrase et consume tout sur son passage ; une rage inexplicable et inextinguible qui peut-être ne s’en ira jamais. Les impacts de la maladie mentale restent méconnus de ceux et celles qui ont la chance de ne pas en souffrir. Je prends feu trop souvent aborde cette thématique en relatant le parcours d’une jeune femme qui essaie tant bien que mal de contenir le brasier.
C’est violemment que les symptômes se manifestent, sans crier gare. La suppliciée veut sortir de son corps et fuir cette réalité qui l’oppresse. Elle suffoque sous une chape de plomb qui lui comprime les poumons et étouffe ses cris. Comment en est-elle arrivée là ? L’origine de son mal-être demeure un mystère. Les pertes de contrôle se multiplient, tout comme les blessures que portent ses membres ; ce sont les stigmates d’un combat intérieur. Ses forces s’amenuisent et elle reste cloîtrée avec sa rancœur et son amertume. Une chance qu’elle ait des colocs pour prendre soin d’elle, sinon…

En effet, leur sollicitude offre un répit momentané de la grande noirceur. Elle affectionne particulièrement la présence d’un être cher qu’elle surnomme « la douceur » et dont les bras enveloppants sont pour elle un refuge. Il lui arrive en revanche d’envier leur allégresse et leur insouciance, ce qu’il l’aspire invariablement dans un vortex de pensées négatives et d’autosabotage. Il n’en faut pas plus pour mettre le feu aux poudres et que ça pète de façon spectaculaire. On a plus le choix, on doit aller à l’hôpital avant que l’irréparable ne soit commis.
La psychiatrie niche au dernier étage. C’est peut-être pour inciter à l’élévation de l’âme en donnant une nouvelle perspective où se déploie l’horizon d’hypothétiques jours heureux. En tout cas, les fenêtres n’ont pas de poignée. Les objets de tous les jours sont considérés des armes potentielles et les pilules assomment comme des matraques. Elle partage son quotidien avec d’autres, écorchées, qui meublent le silence de leurs récriminations et lui offrent du réconfort en ce lieu tout sauf confortable. Une fois hors de danger, on la renvoie chez elle ronger son frein en attendant d’obtenir les ressources susceptibles de pouvoir lui apprendre à vivre avec ce volcan endormi prêt à entrer en éruption à tout moment.

Elle n’a qu’une envie : fuir. Partir sur la route avec la douceur. Capter les rayons du soleil, humer l’air et frissonner de bonheur pour éventuellement renaître de ses cendres. Un changement de décor lui sera salutaire. Elle pourra enfin baisser sa garde et peut-être recommencer à s’aimer.

On a droit à une première œuvre crève-cœur et lumineuse de la part de Charlotte Gosselin; un récit touchant l’universalité en raison de son intimité, et ce, quel que soit notre rapport à la maladie mentale. Les dessins évocateurs d’une grande beauté ont une qualité synesthésique et convoient leur charge émotive avec puissance et subtilité. Brillamment exécuté et raconté, ce roman graphique deviendra une référence lorsque viendra le temps de discuter et d’expliquer ce qui risque d’être le mal du 21e siècle.