Tout n’est que chaos. Nous ne sommes que des réactions en chaîne. Notre intervention est futile. Il n’y a que notre dernier souffle pour y mettre fin. C’est faire un vœu à la mauvaise étoile ou placer un pari cruel et tout perdre ; jouer à la roulette russe. On ne choisit pas sa vie et encore moins son enfance. Certains sont faits Comme des rats dès la naissance. La première BD de Géraldine nous raconte une de ces histoires tristement banales à l’instar d’un météore qui se désagrège en un flash incandescent avant de se disperser dans le froid sidéral.
Numéro 4 vit dans une cave arborant l’esthétique d’une époque révolue qui pue la pisse de rongeur. Un des anciens résidents serait tombé raide mort sur le tapis qu’elle foule comme un lion en cage. On entrepose des cornichons à l’ail dans la salle de bain sans eau attenante à la pièce principale. Elle n’a pas le choix de s’y terrer parce que son géniteur est encore sur son cas. On en connaît suffisamment sur lui pour comprendre qu’il n’aurait pas dû avoir d’enfants ; ce qui ne l’empêche pas de retenter l’expérience avec différentes partenaires juste au cas où cette fois-ci serait la bonne. Tout le monde veut se sauver de ce trou coute que coute. Parfois de force par la grande porte ou bien discrètement par un interstice comme un animal traqué. Le résultat est le même : on est libre. Maintenant il s’agit de savoir se débrouiller pour survivre dans ce nouvel environnement qui ne vous fera pas de cadeau à part celui d’un repas occasionnel à la soupe populaire. Regarder du monde manger de la misère n’est jamais édifiant, mais s’avère un moyen de dissuasion efficace quand on est une adolescente en fugue partie sur la dérape. Justement, on commence à manquer de stock.

Pèter des choses, sniffer de la coke, tous les remèdes sont bons pour ressentir des émotions autres que la rage et le désespoir. On peut discerner de la beauté et une certaine poésie dans une mouette crucifiée au mur d’un immeuble désaffecté. Se faire zigner dans une roulotte aux effluves de gomme bazooka et de cigarette n’est-il pas un rite de passage pour une petite « toff » qui a le don de s’ » encoquiller » au moment fatidique ? Rien de mieux pour se sentir vivante que de se pitcher devant un char juste pour voir ce qui va arriver. Tout d’un coup que ça serait son jour de chance.

Géraldine Grotov s’est attaquée à un sujet scabreux en abordant de front l’abus et la maltraitance. L’autodidacte a adopté l’esthétique punk des années 90 pour illustrer son propos parfois cru et difficile à digérer. Les couleurs acides, délavées, rappellent celle d’un rouleau de film surexposé dont on a trouvé dans les clichés enfouis dans une boîte entassée dans le grenier. Une ode à la fougue de la jeunesse ; un gigantesque finger à cette société de merde et a tout le mal qu’elle a engendré. L’autrice se voit décerner un A — comme anarchie — pour ce cocktail molotov.