Maudit qu’on est naïf quand on est jeune ; c’est attendrissant, déconcertant et rétrospectivement, plutôt embarrassant. On pense qu’on sait tout, mais en fait on ne connaît rien à rien. Plein de confiance et les yeux brillants, nous fonçons tête baissée, remplie d’idéaux, vers un futur aux contours encore flous. Un jour, la réalité nous rattrape et on se rend compte qu’on n’est pas si « hot shit » que ça. Beaucoup d’appelés, peu d’élus. Certains persistent à y croire et s’accrochent, comme Audrée St-Germain, l’héroïne anachronique de la nouvelle bande dessinée de François Donatien, Les inconvénients de la félicité.
Comme la vie est injuste quand on est entouré d’ignares qui n’y comprennent rien à notre art — ça rime, pauvrement, mais quand même. Drée serait sûrement la première à considérer cela minable, elle qui complète une maîtrise en littérature. C’est la poésie qui la branche. Talk about vétuste! Du moins, la vision qu’elle s’en fait. Même ses vulgaires académiciens de profs trouvent sa prose médiocre… ouch. Qu’à cela ne tienne, ses amies sont solidaires et viennent meubler le silence lors des performances aux soirées open mic. En attendant, elle peut se draper de son indignation et scander qu’elle est une « vraie » artiste dont le génie n’est pas reconnu à sa juste valeur.
Arrive le jour où la manne tombe du ciel sous forme d’un magot hérité de son oncle gâteau — ça frôle le million. La jeune femme a enfin les moyens de ses ambitions et multiplie les acquisitions lui permettant de s’investir à fond dans le personnage romanesque qu’elle s’est construit depuis le début de l’adolescence : la Juliette Récamier de Villeray (google it.) Médame la Marquise ne se prend pas pour un 7-Up flat. La chance lui sourit maigrement et elle parvient à se hisser à un échelon enviable de la scène hipster/punk montréalaise avec sa voix fluette, sa harpe et sa verve. Toujours persuadée d’être plus que la saveur du mois, elle redouble d’ardeur alors que la fête est finie, les coffres vides et les rêves réduits en cendres. Sa chambre d’enfance en banlieue devient son refuge où elle ressasse ses vicissitudes à la recherche du moment où tout est parti en vrille. Elle constate l’abîme du haut de son lit à baldaquin et décide de s’enfuir avant de se vautrer dans la fange du conformisme et du capitalisme à outrance. Va, belle ménade et ne te retourne jamais.
Le deuxième livre de François Donatien est très réussi et divertissant à bien des égards. Son humour caustique, la maîtrise du storytelling et des personnages étoffés donnent de quoi amplement se sustenter. On y reconnaît des qualités cinématographiques attribuables aux longues études de l’auteur dans le domaine. Dans un style graphique sobre aux décors savamment élaborés, chaque case devient un cliché nous permettant de comprendre la psyché de cette étrange et attachante poétesse maudite qu’on a envie de serrer dans ses bras pour lui dire que tout va être correct. Ce n’est pas la fin du monde Audrée. À moins que si ?